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Le calvaire des Rohingyas au Bangladesh

Bild: DEZA

Depuis 2017, près d’un million de Rohingyas vivent au Bangladesh. La solidarité de la population locale a fait place à la lassitude. Les Rohingyas risquent d’être pris entre deux feux.

Sur le pupitre de Hamid, se trouve une lampe de lecture reliée à une batterie de voiture. Ainsi, il peut lire lorsqu’il fait nuit noire dans le camp. «J’aimerais bien étudier dans un autre pays», confie le jeune homme de 15 ans, qui a appris un peu d’anglais. Il est installé dans une tente du plus grand camp de réfugiés du monde, non loin de la ville de Cox’s Bazar: comme Hamid, plus d’un million de Rohingyas vivent au Bangladesh.

Les Rohingyas sont originaires du Myanmar voisin. Or, dès les années 1980, ce pays leur a retiré leur citoyenneté. La minorité musulmane est persécutée par l’armée, qui la chasse de ses terres. Beaucoup trouvent refuge au Bangladesh, pays également musulman.

En 2017, les militaires du Myanmar lancent une campagne d’une brutalité inédite contre les Rohingyas. Dans la province de Rakhine, près de la frontière bangladaise, les soldats massacrent des villages entiers. Le Myanmar est accusé de génocide, l’affaire est actuellement devant la Cour internationale de justice. En 2017, quelque 750'000 Rohingyas franchissent la frontière pour se réfugier au Bangladesh. Le nombre de personnes réfugiées dans le pays explose. Beaucoup s’installent dans les forêts et les collines à proximité de Cox’s Bazar. Un camp se crée là où poussaient autrefois des arbres. Les organisations humanitaires fournissent des tentes et les ONG construisent des routes avec des briques pour acheminer l’aide. Les arbres n’ont pas repoussé, le terrain est boueux pendant la saison des pluies. Aujourd’hui encore, presque toutes les constructions sont en bambou.

La tente sous laquelle Hamid vit avec sa mère est également en bambou. Son père a été tué lors des massacres de 2017. Même le ballon de foot de Hamid est en bambou: tout est destiné à être temporaire, facile à démonter. Après six ans, on ne sait toujours pas ce qu’il adviendra des Rohingyas. «Nous voulons retourner dans notre pays», dit Hamid.

L’ancien élève modèle du développement

Le Bangladesh est lui-même un pays en développement et l’un des plus peuplés du monde. La montée du niveau de la mer grignote chaque année un peu plus les côtes. Lors de l’arrivée des Rohingyas en 2017, la solidarité est grande: le Bangladesh laisse ses frontières ouvertes et accueille les réfugiés. Les images de cette générosité font le tour du monde, beaucoup d’argent est versé par la communauté internationale.

Aujourd’hui, la solidarité a fait place à la lassitude. «Nous donnons aux Rohingyas tout ce qu’il leur faut pour survivre. Mais nous ne les laisserons pas s’installer ici. Nous ne voulons pas qu’ils se sentent comme des Bengalis», déclare l’un des responsables du camp de Cox’s Bazar.

Avant l’arrivée des Rohingyas, le Bangladesh était l’élève modèle de la politique de développement. Après avoir obtenu son indépendance du Pakistan en 1971, il dépasse l’Inde sur des indicateurs comme l’éducation ou la mortalité infantile dès le début des années 2000. En 1991, la pauvreté concernait 58,8% de la population, avant de tomber à 24,3% en 2016. Le revenu par habitante/habitant s’élève à 2500 dollars et est désormais supérieur à celui du Pakistan et de l’Inde.

Reste que le pays est gouverné de manière de plus en plus autoritaire par la Première ministre Sheikh Hasina Wazed. Les journalistes sont persécutés. Des escadrons de la mort éliminent les opposantes et opposants politiques. La Première ministre a qualifié les Rohingyas de «fardeau» et mène une politique largement soutenue au Bangladesh: isoler les Rohingyas plutôt que de les intégrer.

Tensions entre population locale et réfugiés

Les enfants rohingyas n’ont pas le droit de fréquenter les écoles en dehors du camp, ce qui les exclut de l’enseignement supérieur. Les adultes, eux, ne peuvent pas non plus travailler à l’extérieur, en raison des conflits potentiels. Alors que les journaliers rohingyas acceptaient des salaires plus bas que la main-d’œuvre locale, les confrontations avec la population bangladaise étaient fréquentes. Entre-temps, une clôture a été érigée tout autour du camp. Les organisations humanitaires tentent de maintenir un équilibre précaire, en aidant tant les Rohingyas que les communautés locales vivant dans les alentours. Elles soutiennent des écoles et des projets environnementaux pour que la population voisine ne se sente pas désavantagée. Aujourd’hui, la coexistence fonctionne bien, indique Kamlesh Vyas, qui travaille sur place pour l’organisation humanitaire suisse Helvetas. Mais la jeunesse bangladaise qui vit elle-même dans le besoin a des préjugés et cela donne lieu à des tensions: «Les jeunes craignent que les Rohingyas ne leur prennent leurs emplois. C’est pourquoi nous leur proposons des possibilités de travailler.»

Si le déclin de la solidarité se fait ressentir au Bangladesh, il est aussi palpable au sein de la communauté internationale. La crise des Rohingyas a presque disparu des médias, les populations réfugiées d’Ukraine ou d’Afghanistan concernant plus directement l’Europe. L’an dernier, l’ONU aurait eu besoin de 881 millions de dollars pour subvenir aux besoins des Rohingyas, mais n’en a obtenu que 556. Cela signifie que les rations alimentaires diminuent. Le budget du Programme alimentaire mondial par personne est récemment passé de 12 à 10 dollars par mois. Les personnes qui vivent dans le camp ont faim.

«Il y a souvent des incendies», relève le collaborateur d’Helvetas. On ne sait pas qui les allume. La misère entraîne parfois des combats armés entre différents groupes de Rohingyas. Les gens sont affamés, sous-employés, mal formés et vivent dans un espace limité sans grandes perspectives. Et la place disponible se retreint de plus en plus, car le taux de natalité parmi les Rohingyas est élevé.

Isolés au milieu de la mer

Le Bangladesh souhaite donc renvoyer les Rohingyas au Myanmar. Dans le cadre d’un projet pilote lancé cette année avec la dictature militaire du Myanmar, les deux pays négocient le retour d’environ 1000 Rohingyas. Au début de l’année, une délégation s’est rendue dans un camp d’accueil au Myanmar. Après la visite, l’un des participants rohingyas a déclaré à l’agence Reuters vouloir vivre librement au Myanmar et ne pas souhaiter retourner dans un camp.

Les organisations de défense des droits humains voient ces rapatriements d’un œil critique. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) considère que les conditions ne sont «pas propices à un retour durable des réfugiés rohingyas».

En outre, le Bangladesh a commencé à déplacer des réfugiés rohingyas sur l’île de Bhasan Char, située à plusieurs heures de bateau du continent. Les baraquements construits sur l’île par l’État sont destinés à abriter jusqu’à 400'000 Rohingyas. Les infrastructures de Bhasan Char sont meilleures que dans les camps de Cox’s Bazar: les maisons sont en béton et il existe quelques emplois permettant de gagner sa vie ainsi que des terres à cultiver. Mais les gens sont isolés au milieu de la mer et ne peuvent quitter l’île que pour les visites familiales autorisées. Ce régime est critiqué par les organisations de défense des droits humains. Les ONG internationales ne sont par ailleurs pas actives à cet endroit. Lors d’une visite l’an passé, des Rohingyas nous ont glissé des lettres dans lesquelles elles et ils demandaient de l’aide.

Il est clair que le gouvernement du Bangladesh entend se débarrasser des Rohingyas au plus vite. La crise du Covid-19 a mis un frein à l’essor économique de ces derniers temps. L’an passé, le pays a demandé l’aide du Fonds monétaire international. Les économies décidées par le gouvernement entraînent aujourd’hui des coupures d’électricité et une hausse du prix de l’essence. En perspective des élections prévues à la fin de l’année, l’autoritarisme de la Première ministre suscite des manifestations et un vif mécontentement au sein de la population. Les Rohingyas risquent d’être pris entre deux feux: ils sont bloqués dans un pays qui compte ses propres problèmes.

de Andreas Babst, correspondant de la Neue Zürcher Zeitung Asie du Sud, basé à New Delhi